dimanche 29 juin 2008
Pourquoi je suis si avisé
A la question de l'alimentation s'apparente étroitement celle du lieu et du climat. Nul n'a la liberté de vivre n'importe où ; celui qui doit satisfaire à de grandes tâches qui requièrent toute son énergie n'a même qu'un choix fort restreint. L'influence du climat sur le métabolisme, qu'il le relantisse ou l'accélère, est telle qu'une erreur sur le lieu et le climat peut non seulement détourner quelqu'un de sa tâche, mais encore la lui cacher complètement : il ne l'aperçoit absolument plus. Le vigor animal n'est pas devenu assez grand chez lui pour qu'il atteigne cette liberté qui déborde jusqu'aux confins extêmes de l'esprit, oû l'on peut avouer : cela, je suis seul à pouvoir le faire...
Une certaine paresse, si légère soit-elle, des intestins, tournée en mauvaise habitude, suffit complètement à faire d'un génie quelque chose de médiocre, quelque chose d'« allemand » ; le climat allemand suffit à lui seul à décourager les tripes fortes et le plus héroïquement disposées. Le tempo du métabolisme est en rapport strict avec la mobilité ou la lourdeur des pieds de l'esprit ; l'« esprit », quant à lui, n'est assurément qu'un avatar de ce métabolisme.
Que l'on fasse la revue de tous les lieux où il y a et il y a eu des hommes de l'esprit, où le bonheur impliquait le mot d'esprit, le raffinement, la malice, où le génie était presque nécessairement chez soi : tous jouissent d'un air remarquablement sec. Paris, la Provence, Florence, Jérusalem, Athènes --- ces noms prouvent quelque chose : le génie a pour condition l'air sec, le ciel dégagé, --- c'est-à-dire un métabolisme rapide, la possibilité de s'approvisionner en quantités toujours plus énormes d'énergie. J'ai sous les yeux le cas d'un esprit remarquable et librement disposé que le défaut de finesse d'instinct dans l'ordre du climat a rendu étriqué, rampant, spécialiste et morose. Et moi aussi j'aurais pu finalement être dans le même cas, si la maladie ne m'avait contraint à la raison, à la réflexion sur la raison dans la réalité.
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Nietzsche " Ecce homo " (traduit par Eric Blondel)
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Bonsoir,
RépondreSupprimerJe ne connaissais pas ce texte: il me fait penser à la théorie des climats de Montesquieu (étudié à l'université).
Bonsoir,
RépondreSupprimerDans ce livre, il y a beaucoup de phrases qui m'ont frappé. Ce philosophe me semble important pour penser à la signification de la maladie, également.
Merci de l'information sur Montensquieu. Je vais le regarder bientôt.
Bonjour Chris,
RépondreSupprimerJ'ai posté un billet sur "La théorie des climats" de Montesquieu, malheureusement dans mon blog japonais. Si cela vous intéresse, visiter le suivant.
http://paulparis.exblog.jp/7267402/